La classe est finie

LE MONDE | 14.11.2012 Maryline Baumard
Le modèle de la classe - quatre murs et un maître s'adressant à un collectif -, qu'on croyait pérenne, vacille sur ses bases.
Le modèle de la classe - quatre murs et un maître s'adressant à un collectif -, qu'on croyait pérenne, vacille sur ses bases.
"Et les vitres redeviennent sable/l'encre redevient eau/les pupitres redeviennent arbres (...)." Cet effondrement de la classe, que le poète français Jacques Prévert a mis en scène en 1945 dans Page d'écriture, comme le rêve éveillé d'un élève, est en train de devenir réalité. C'est bien l'écroulement de ce qui semblait le cœur de l'école, la classe, qui est à l'œuvre aujourd'hui. Attaquée de toutes parts, ses murs cèdent.
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Ici, c'est la technologie qui lui porte un coup, là le manque de crédits, là encore cette urgente nécessité de s'adresser individuellement à chaque élève. La classe, c'était quatre murs et un maître s'adressant à un collectif. C'était un savoir enfermé dans un espace clos et magistralement délivré à un groupe. Ce modèle, qu'on croyait pérenne, vacille sur ses bases.

INDIVIDUALISATION DES APPRENTISSAGES
Dans les pays de l'OCDE, on ne jure plus que par l'individualisation des apprentissages. Et comme le note l'Unesco dans son rapport 2012 sur l'éducation pour tous , il y a urgence à s'adresser à chacun pour en finir avec les 14 % des jeunes qui ne poursuivent pas leurs études au-delà du second cycle du secondaire et qui, bien souvent, décrochent même avant...Inciter individuellement chaque élève à rester à l'école est devenu le leitmotiv des ministres, européens comme américains, de gauche comme de droite. Dans des sociétés où l'écart culturel se creuse, parce que l'école n'est plus le seul lieu du savoir, l'élève moyen, celui sur lequel un maître ajuste ses enseignements, n'existe plus. Le bon élève s'ennuie et le moins bon décroche... Et ils sont nombreux sur le bord du chemin, sans diplôme ni formation, abandonnés de l'école ; au ban de la société de la connaissance.
Dans les pays moins favorisés aussi, la classe est dépassée. Périmée avant même d'avoir existé ! Le rendez-vous a été manqué, et maintenant que l'argent public se fait rare, pas de quoi construire des murs, y mettre des enseignants et y motiver des jeunes dont les familles réclament la force de travail. Là aussi il y a urgence à arrêter de jouer classique. Dans les 123 pays au plus faible revenu, 200 millions de 15-24 ans n'ont pas achevé leur scolarité primaire et pour la première fois depuis l'an 2000, leur nombre ne fond plus. Sans redémarrage de la machine àscolariser, sur 100 enfants aujourd'hui non scolarisés, 47 ne mettront jamais un pied dans une école. 47 % de 61 millions, c'est trop !

INVENTION DE L'"ÉLÈVE MOYEN"

Alors, enjambant les siècles, l'Afrique, l'Amérique du Sud et beaucoup de pays du Moyen-Orient sautent dans l'ère numérique sans passer par la case de l'école à classes. Ils mettent à disposition des savoirs dans les smartphones ou les ordinateurs ; des technologies auxquelles les populations accèdent de plus en plus largement. La classe aussi avait été inventée comme un pis-aller. Au départ, c'était d'abord une réponse à l'impossibilité d'offrir un précepteur à chaque élève. Au Moyen Age, dans le monde occidental, l'école regroupe des enfants dans d'immenses salles communes. Le maître les prend un à un à son bureau pour les faire travailler, avant qu'à la Renaissance ne s'instaure un enseignement simultané, pensé par des ecclésiastiques soucieux d'améliorer l'efficacité du dispositif. Au XIXe siècle, le "cours", qui, très vite, se confond avec la "classe", colonise finalement les systèmes éducatifs.
Mais la classe, c'est un nivellement, c'est l'invention de l'"élève moyen". Pour s'y faire une place, un enfant ne doit pas trop s'éloigner d'une norme d'âge et d'un niveau obtenu par la moyenne de notes dans une série de disciplines. La classe emprisonne les enfants sans tenir compte ni de leur singularité, ni de leur rythme d'apprentissage.
Aujourd'hui, une page se tourne. L'innovation bouscule ce concept qu'on croyait fondateur. Et c'est une chance si l'on veut être capable d'offrir d'ici à 2030 – comme 164 pays s'y sont engagés en 2000 – un enseignement universel jusqu'à la fin du 1er cycle du secondaire. Un objectif qui changera des destins individuels, certes, mais aussi le futur de la planète. Un dollar investi dans l'éducation, c'est dix à quinze dollars de croissance. Et plus un système est efficace, plus il générera de croissance. C'est pour cela que la classe moribonde doit bien vite rendre l'âme.

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