Avec la "classe à l'envers", l'école garde les pieds sur terre

LE MONDE | 13.11.2012 Par Maryline Baumard
Les élèves visionnent des cours enregistrés à la maison, font leurs devoirs avec l'enseignant à l'école... Derrière la 'classe inversée', ou 'classe à l'envers', se cache une nouvelle stratégie d'enseignement.
Les élèves visionnent des cours enregistrés à la maison, font leurs devoirs avec l'enseignant à l'école... Derrière la "classe inversée", ou "classe à l'envers", se cache une nouvelle stratégie d'enseignement. | AFP/DAMIEN MEYER

C'est l'histoire d'une trouvaille. En 2004, Jonathan Bergmann et Aaron Sams, deux enseignants de sciences, débarquent à Woodland Park High School. Dans ce lycée du Colorado, les deux nouveaux se trouvent vite démunis face à l'absentéisme des élèves. "Dans ces zones rurales, ils passaient un temps fou en transport et couraient toujours après un cours raté." Agaçant pour les deux enseignants.

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Aaron Sams tombe un jour par hasard sur un logiciel capable d'enregistrer un document Powerpoint, de plaqué dessus une voix off, des annotations et de transformer le tout en un produit vidéo. "On était au début de YouTube et on s'est dit qu'on tenait notre solution pour répondre à l'absentéisme", explique-t-il. En lançant la formule, les deux enseignants ne mesuraient pourtant pas la petite révolution qu'ils étaient en train de mener. Le fait que les jeunes visionnent le cours et intègrent la théorie avant la leçon libère le cours pour un temps d'échange, avec un enseignant disponible. Au fil du temps, leurs classes changent parce qu'une vraie interaction s'installe entre les profs et les élèves. Mais aussi entre les élèves, qui sont devenus une vraie petite communauté d'apprentissage.

CHANGEMENT D'ÉTAT D'ESPRIT
"Nous sommes devenus les coaches d'une communauté d'étudiants. Nous ne débitons plus notre cours à un bloc d'élèves, mais nous intéressons de près aux besoins individuels de chacun", souligne M. Bergmann. Avec la classe inversée, l'enseignant aide directement à l'acquisition de connaissances. Mais ce n'est pas tout. Les élèves aussi changent d'état d'esprit. Ils ne viennent plus en cours pour prendre des notes, et donner le change, mais pour se faire expliquer ce qu'ils n'ont pas compris en travaillant seuls.
A compter du printemps 2007, le cours inversé devient la norme à Woodland Park High School. Et peu à peu, les deux apôtres convertissent d'autres collègues ailleurs à leur pratique, qui a aussi l'avantage de faire entrer Internet dans le coup sans transformer les enseignants en techniciens à chaque cours. L'usage du Net, c'est hors du cours !
Greg Green, le directeur de Clintondale High School, près de Detroit (Michigan), suit le mouvement et inverse toutes ses classes en 2010. "On a testé sur 140 étudiants et réduit l'échec de 33 % en anglais, de 31 % en mathématiques, de 22 % en sciences et de 19 % en sciences sociales dès la fin du premier trimestre, plaide-t-il sur le site de son école. On a très vite converti toute l'école puisque, outre les résultats, cela nous permettait d'Introduire les nouvelles technologies, de répondre aux absences des enseignants et étudiants."

"UNE VRAIE CULTURE DE CE QU'EST APPRENDRE"
Pour Jonathan Bergmann et Aaron Sams, le vrai changement réside dans le fait que "cela développe chez les élèves une vraie culture de ce qu'est apprendre. On ne vient plus en cours pour recopier une leçon qu'on peut trouver ailleurs, mais pour progresser dans le maniement d'un savoir nouveau", insiste M. Bergmann.
Peu à peu, la classe inversée s'installe. Peu à peu aussi, on mesure que ce n'est pas non plus un remède miracle. Dans le magazine norvégien Bedre Skole, Elisabeth Engum, une enseignante norvégienne adepte de la formule, rappelle que celui qui ne fait pas ses devoirs chez lui n'aura pas plus envie d'écouter un cours. En classe, il ne profitera pas de la disponibilité de son enseignant puisqu'il devra commencer par visionner le cours ! Dans la classe d'Alfonso Gonzalez au collège de Chimacum (Washington), l'enseignant met son cours à disposition, pour ceux qui voudraient l'étudier avant, mais autorise aussi ceux qui ne l'auraient pas visionné à le faire en classe.
Est-ce que l'incitation créera un cercle vertueux ? Si le mouvement est aussi suivi dans son école que sur Internet, tous les espoirs sont permis. En 2007, 15 % des internautes avaient déjà regardé une vidéo éducative - une conférence TED (technology, entertainment and design) ou un cours de la Khan Academy -, ils étaient deux fois plus trois ans après.

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